Wednesday, March 5, 2014

La Petite Histoire des Gros Méchants Dépassements d'Honoraires des Vilains Médecins


Imaginons un autre pays semblable au nôtre (la France).

Imaginons que je fasse de la politique et que j'aie de nombreux petits copains qui seraient très généreux pour financer mon parti politique ou encore mes campagnes électorales. Imaginons que lesdits petits copains soient à la tête de mutuelles dont la fonction essentielle serait de rembourser la partie non remboursée par la sécurité sociale des soins.

Imaginons qu'aimant bien mes petits copains et souhaitant leur rendre la pareille, je me mette en tête d'aller un peu dans leur sens en les aidant à diminuer leurs dépenses pour qu'ils aient encore un peu plus de sous à me donner pour financer mes activités politiques.

Comment pourrais-je m'y prendre ?

Tout d'abord, je lancerais, avec l'aide de mes petits copains assureurs, une vaste campagne de désinformation qui ferait croire au grand public que les dépassements d'honoraires participent du déficit de la sécurité sociale (par définition les dépassements sont remboursés par les mutuelles et pas par la sécurité sociale donc aucun lien avec le déficit de la sécurité sociale).

J'en rajouterais une petite couche en laissant planer l'idée que ces dépassements sont illégaux ou anormaux alors qu'ils sont pourtant bien prévus dans la convention signée avec les médecins de secteur 2 qui ont le droit de "dépasser" parce qu'ils remplissent les conditions pré-requises à cela (le plus souvent avoir travaillé plus longtemps à l'hôpital public après la fin de leurs études pour un salaire moitié moindre de celui d'un praticien hospitalier).

Par la suite, j'engagerais une grande campagne financée par la sécurité sociale visant à limiter les dépassements des médecins pour soit-disant garantir "l'accès aux soins". J'utiliserais donc la Sécurité Sociale, organisme public, pour faire le travail de mes petits copains mutualistes. Je ferais courir le bruit que les médecins adhèrent en masse à ce dispositif alors que c'est faux, histoire de pousser encore ceux qui hésitent à adhérer.

Une fois tout ce travail de mise en place effectuée, je passerais la main à mes petits copains mutualistes qui lanceraient l'idée de limiter le remboursement des dépassements à 100% du tarif conventionné. C'est parfait pour eux. Ils continuent à encaisser les mêmes cotisations mais dépensent beaucoup moins. L'idée derrière cela c'est de tenir les médecins en laisse. On leur propose d'adhérer à la charte de la mutuelle qui remboursera un dépassement de 100%. Dans le cas contraire, les patients sont bien moins remboursés. La boucle est ainsi bouclée. Ce sont les financiers qui gèrent la santé et ont la maîtrise de ceux qui soignent.

Pour enfoncer le clou encore plus loin, j'impose le tiers-payant généralisé. Ainsi, les actes médicaux seront payés directement par la sécurité sociale et les mutuelles aux médecins. Les patients ne déboursent plus rien de leur poche.

C'est parfait pour les petits copains mutualistes qui pourront taper sur les petits doigts des médecins s'ils ne sont pas gentils et ne suivent pas leurs directives. Pour ces derniers, leurs dossiers de tiers-payant se perdront ou bien prendront anormalement de temps à être payés. Comme par hasard… Un peu comme les remboursements des dépassements des patients hospitalisés qui dans la plupart des cas font l'objet de pertes de dossier ou de contestations des mutuelles avant d'être enfin remboursés.

Evidemment, personne ne se demande si le tiers-payant généralisé ne va pas être à l'origine d'une surconsommation médicale accrue dans notre pays. Mais bon ce n'est pas très grave si cette surconsommation creuse encore plus le trou de la sécurité sociale dont les dépenses ne seront pas affectées par les mesures citées plus haut. Si les petits copains mutualistes sont contents et donnent des sous au parti, peu importe que le budget de l'état en prenne un coup… Le plus important c'est de rester au pouvoir et d'avoir l'illusion de gouverner (ou de faire ce que les petits copains suggèrent).

Au total que fait-on ?

Le secteur 2 avec son droit aux dépassements permettait aux médecins de faire payer un peu plus les "riches" qui avaient de bonnes mutuelles pour soigner ceux qui avaient moins de revenus. C'est étrangement dans l'esprit du partage tout cela, on pourrait presque même dire que ça rejoint un peu ce que certaines personnalités de gauche pourraient trouver "chouette".

Et bien non ! On préfère justement foncer tout droit dans un système où il y aura une vraie médecine à 2 vitesses avec les riches qui pourront se faire soigner en payant de leur poche les dépassements non remboursés par leurs mutuelles ou encore souscrire à des super-mutuelles (chouette pour les petits copains mutualistes) qui rembourseront encore mieux. Et dans ce système, il y aura ceux qui seront laissés pour compte, ceux pour qui on a prétendument voulu rendre le système plus égalitaire alors qu'au final il sera totalement l'opposé de cela.


Alors je pose deux questions :

- Pourquoi quand je demande à la sécurité sociale de prendre en compte mes actes gratuits quand je soigne l'indigent ou l'étranger sans couverture sociale, me répond-on que ce n'est pas possible ?


- Pourquoi fait-on courir le bruit que les médecins sont des vilains qui ne pensent qu'à l'argent. Je ne connais aucun confrère installé en libéral qui ait refusé de soigner gratuitement un malade. C'est pourtant ce que l'on veut faire croire à tout le monde pour passer en force des projets de loi totalement absurdes. Il y a des brebis galeuses dans toutes les professions mais elles ne sont de loin pas la règle en médecine. Les dépassements sont toujours demandés avec tact et mesure comme le demande la convention. Ca ne pose de problème à personne hormis aux petits copains mutualistes.


Wednesday, July 3, 2013

Docteur Fred, Pourquoi l'Amérique ?



Tout d'abord, pourquoi dit-on Amérique ? Pourquoi le nom d'un continent est au final devenu quasi synonyme pour beaucoup d'entre nous d'un seul et unique pays à savoir les Etats-Unis ? Peut-être parce que ce dernier a pris un tel ascendant sur son continent voire le monde que la synecdoque en devient évidente.

Avant d'en écrire plus long sur le sujet, il est important que je précise que je suis un grand admirateur de ce pays que je connais bien et où j'ai séjourné à maintes reprises. Je suis, d'ailleurs, le premier à le défendre face aux attaques anti-américanistes primaires de mes compatriotes.

Alors pourquoi l'Amérique ? Pourquoi les Etats-Unis nous font-ils rêver ?

Oui, je sais, certains pensent que ce pays ne les fait pas rêver. Et pourtant...

J'évoquais dans un billet précédent la question de la religion : les Etats-Unis en sont presque une pour beaucoup d'habitants de la planète.

Petite démonstration :

Moi, si j'étais quelqu'un de très intelligent et si j'étais en conflit avec un pays rival au point que l'apocalypse nucléaire soit une éventualité envisageable, je me dirais que le moyen le plus simple de gagner une guerre "froide" serait d'avoir le maximum d'alliés et surtout de pouvoir attirer les personnes les plus intelligentes et les plus expertes dans leur domaine dans mon beau pays. On peut appeler cela opération de communication, marketing, propagande...

Pour ce faire, j'aurais investi des sommes colossales dans la production de films et de séries télévisuelles où tous les hommes et les femmes sont beaux, où tout le monde a deux voitures et une énorme maison et où tout va, au final, pour le mieux dans le meilleur des mondes. J'aurais alors exporté toutes ces productions dans un maximum de pays pour que tous les habitants de la planète finissent par penser, et même sans le vouloir, que, tout de même, ça doit plutôt être sympathique d'être américain.

Evidemment, ça ne marche pas chez tout le monde. Il y a ceux qui diront tout de suite qu'ils n'y croient pas ou bien qui, par esprit de contradiction, seront fiers d'affirmer haut et fort qu'ils rejettent toutes ces valeurs.

J'en connais beaucoup d'ailleurs des gens comme ça. Ils sont toujours fiers de dire qu'ils ne sont jamais allés aux Etats-Unis et qu'ils ne s'y rendront jamais jusqu'au jour où par hasard (les psys disent qu'il n'y a jamais de hasard...), ils y partiront en vacances. Et pour 90% d'entre eux, contre toute attente, les vacances finiront par être agréables voire même géniales au point de donner l'envie d'y retourner. Comme si, quelque part, l'empreinte inconsciente de ladite propagande aurait fini par faire son effet.

Ma petite théorie à moi c'est de dire que les Etats-Unis continuent à dominer le monde parce qu'ils le dominent par leur culture (j'entends par là la quantité incommensurable de médias et d'influences qu'ils exportent dans toute la planète). Même dans notre pays qui se veut être l'exception culturelle, il y a très souvent plus de films américains que français à l'affiche.

Les Etats-Unis attirent les cerveaux. J'en connais peu capable de refuser de vivre le rêve américain tout en étant rémunéré dix fois plus que dans leur pays d'origine. C'est ce rêve là que l'Amérique nous vend depuis des décennies et moi je dis que c'est très bien joué.

Et pour finir, je pose la question : ne sommes-nous tous pas un peu américains ?


Tuesday, July 2, 2013

Hannibal, Le Cannibale


Vous l'aurez compris, je mets beaucoup de ma personne dans ce blog. Je vais donc me confier une nouvelle fois à pour faire mon coming-out : je suis psychiatre et j'aime bien regarder des séries à la télévision !

Horreur, non ?

Quoi ? Vous continuez encore à lire ce blog alors que je viens de chuter dans votre estime ? Allez, puisque vous êtes encore là, je vais donc vous en dire plus.

Oui, j'aime bien regarder des séries divertissantes, ça me détend même si ça ferait beaucoup plus intello de vous dire que je lis et relis Freud et Lacan tous les soirs.

La dernière série que j'ai regardée s'appelle "Hannibal" et retrace l'histoire de Hannibal Lecter, le héros du Silence des Agneaux. Hannibal, sous des abords plutôt sympathiques et séduisants, est, en fait, un serial killer. Comme si cela ne suffisait pas comme tare, il est en plus psychiatre.

Alors je pousse un peu un coup de gueule parce que le cinéma n'est pas tendre avec ma profession en général.

Les psychiatres, au cinéma, sont quasiment toujours excentriques, pervers, dangereux ou encore incompétents. Alors, j'ai envie de dire, c'est pas très sympa. Les patients ont déjà assez de préjugés comme cela... Mais non, Hollywood en rajoute une couche, histoire de s'assurer que personne ne pourra envisager de se soigner s'il venait un jour à en ressentir le besoin.

Alors, vraiment, gardez à l'esprit que le cinéma et les séries télévisuelles sont à l'opposé de la réalité.

Prenons Hannibal dans la série du même nom :

- Tout d'abord il s'habille avec beaucoup de goût et porte toujours une cravate : je ne connais aucun psychiatre qui prête autant attention à son élégance ou qui soit, en règle générale, bien habillé.

- Hannibal est presque aussi bon chirurgien que psychiatre : je ne connais aucun psychiatre qui soit encore compétent à quelque niveau que ce soit en médecine somatique et encore moins en chirurgie.

- Hannibal roule en berline de luxe et vit dans un appartement qui ferait rêver une star de Hollywood alors que, c'est bien connu, la psychiatrie est une des spécialités les moins rémunératrices.

- Le seul point qui sauve un peu Hannibal par rapport à la réalité c'est qu'il ait toujours quelque chose à dire sur tout et n'importe quoi ou encore qu'il ait toujours le sens de la formule et de la répartie pour affirmer qu'il n'est pas comme les autres.

Au final, si vous devez retenir une seule chose, c'est que la plupart des psychiatres ne sont pas à l'image de ce que le cinéma nous montre !

A bon entendeur...

Tuesday, June 25, 2013

La Dualité Monde / Coeurpuscule



Nous arrivons au monde en nous déchirant d'un lien nous unissant à notre mère et c'est dans ce même monde que nous sommes appelés à créer de nouveaux liens tout en essayant de nous constituer en tant qu'individu unique et isolé, sorte de coeurpuscule si vous me permettez ce néologisme.

Ainsi, nous sommes constamment soumis à une double contrainte qui, d'une part, voudrait que nous nous "attachions" aux semblables qui nous entourent et que d'autre part, nous préservions notre enveloppe psychique en l'isolant et la rendant indépendante pour ne pas souffrir de nos relations aux autres. C'est autour de notre "coeur", notre centre de gravité individuel que s'articule notre individu et ce qui fonde, de manière singulière notre personnalité.

Nos relations aux autres nous inscrivent dans l'histoire humaine et nous démarquent de l'animal mais elles mettent également en péril notre coeurpuscule qui est en constante re-formation à la faveur des nouveaux liens que nous créons.

Alors qui sommes-nous dans ces néo-sociétés dites individualistes dans lesquelles nous sommes amenés à évoluer ?

La faillite de la famille et sa fonction de réassurance et d'étayage conduit certains à tisser des liens plus fragiles et à les multiplier pour ne pas risquer de se retrouver sans lien. Ce serait pour ceux-là ce lien "mirage" qui soutiendrait leur coeurpuscule et previendrait leur effondrement psychique. On reconnaît là la problématique du "borderline" qui, quelque part, cherche sans cesse une prothèse apte à colmater les défaillances de son coeurpuscule pour ne pas être soumis aux angoisses les plus archaïques.

Notre société qui a désacralisé les religions et la famille n'est-elle pas devenue une société "borderlinisante" (pardonnez-moi ce nouveau néologisme) où les coeurpuscules sont de plus en plus fragiles et vacillants ? Ne peut-on pas là y comprendre la raison pour laquelle les gens "vont voir quelqu'un" plutôt que de trouver des réponses en famille ou en confession ? C'est peut-être plus là la raison qui explique le rôle grandissant du psy dans la cohésion de notre société plutôt que de penser simplement que le psy a remplacé le curé par voie de simplicité ?

Au delà de cela c'est la condition humaine toute entière qui se redéfinit par l'augmentation de la fréquence des liens mais aussi de leur fragilité, sorte de métaphore relationnelle des réseaux neuronaux qui habitent nos cerveaux.

Né au sein d'une cellule familiale, le petit d'homme est amené au fil des années à s'en détacher pour, comme on aime à le dire, s"individualiser", se coeurpusculiser, dirais-je. Mais la fragilité de sa structure l'amènerait à continuellement créer de nouveaux liens pour souffrir de leurs immanquables ruptures en dépit de l'illusion que nous nous donnons de leur stabilité.

Parce que la vie c'est ça, c'est penser qu'à un temps T, quand tout va bien, que cela ne changera jamais... jusqu'au moment où le destin nous rattrape et nous refait vivre l'expérience de la douleur et du deuil en tant que perte de lien. Le cycle bonheur/malheur à l'échelle de l'histoire individuelle est au final un résumé de condition humaine où l'intensité du bonheur se confond avec la force du lien mais où la perte de ce même lien devient synonyme de malheur profond.

L'homme moderne est ce Spiderman (et vous noterez que les psychiatres peuvent utiliser des métaphores enfantines et simplistes) qui tisse du lien d'un individu à l'autre comme le héros qui se balance d'immeuble en immeuble grâce à la toile issue de ses poignets.

C'est ce jeu d'équilibriste que nous jouons sans cesse : se protéger en tant que coeurpuscule tout en créant du nécessaire lien qui lui-même ne peut que nous fragiliser. A chacun de choisir où il arrête le curseur entre ces deux extrêmes.


Thursday, June 20, 2013

Docteur Fred, et les Souvenirs ?


Je suis amené, depuis quelques semaines, à soigner ce patient âgé qui m'a initialement été adressé pour un état dépressif. La particularité de cet état dépressif est qu'il est réactionnel à une rupture sentimentale vieille de plus de quarante ans. C'est au court de la première consultation que j'ai constaté que ce monsieur avait, en fait, d'importants troubles de la mémoire. Il se souvenait parfaitement des faits anciens mais très peu des faits récents à tel point que le diagnostic de maladie d'Alzheimer était une évidence.

Le problème pour ce monsieur est donc qu'il est, tel Sisyphe, confronté à un éternel recommencement de son deuil. Ses souvenirs, presque oubliés un jour, ont ressurgi dans son présent, et il n'arrive pas à s'en défaire. Il pleure d'avoir perdu l'être aimé comme il a dû en pleurer dans sa jeunesse parce que pour lui, c'était hier. Il ne reconnaît plus ses enfants et reste centré sur cette déception.

Alors imaginez, si un jour, vos souvenirs les plus anciens surgissaient dans votre présent avec le même poids qu'un évènement contemporain ?

Imaginez souffrir à soixante-dix ans du premier jour d'école lorsque vous aviez trois ans et pleurer à l'idée que vos parents vous aient laissé seul dans cet établissement inconnu...

Imaginez craindre d'avoir des remontrances pour une bêtise vieille de soixante ans...

Imaginez ressentir à nouveau des sentiments pour celle avec qui vous avez dansé votre premier slow à douze ans...

Imaginez attendre le retour de vos parents ou bien leur regard plein de fierté à votre égard alors qu'ils sont décédés depuis vingt ans...

Imaginez avoir une envie folle de vous acheter des friandises comme à la sortie de l'école...

Imaginez chercher son meilleur ami d'enfance près de son école maternelle pour jouer aux billes à l'âge de soixante-dix ans...

Imaginez ne plus reconnaître vos enfants ou votre épouse avec qui vous avez vécu un demi-siècle...

Imaginez avoir peur du noir ou de dormir seul à soixante-dix ans...

Imaginez avoir perdu cette capacité que nous avons de trier les souvenirs, de dépasser ceux qui sont douloureux et accompagner les plus agréables. Imaginez qu'une force supérieure vous les impose et que vous ne puissiez plus les gérer parce que vous êtes dans cet éternel recommencement et dans l'incapacité d'avoir le Temps de laisser les souvenirs faire leur travail de deuil.

Nos souvenirs sont fragiles et c'est peut-être pour cela que nous érigeons des monuments pour symboliser les plus importants à l'échelle d'une société et ainsi éviter d'oublier. Mais pour l'individu, les souvenirs et l'histoire personnelle sont soumis à des lois que l'on ne maîtrise pas. Nous ne sommes pas à l'abri de les perdre ou de les voir réapparaître un jour à l'improviste...

Et pour ceux qui ont un proche souffrant d'une maladie d'Alzheimer, j'espère que ce petit texte leur permettra de porter un regard différent sur ce qui peut les choquer dans le comportement et les propos de leur être cher.


Wednesday, June 19, 2013

Docteur Fred, c'est qui Dieu ?


Aujourd'hui je transgresse puisque je vais trahir le secret médical et vous exposer ce que j'ai appris d'un de mes patients : Dieu.

La psychose maniaco-dépressive, cette maladie dont le nom fait peur et que l'on appelle de nos jours trouble bipolaire, est une affection qui entraîne une instabilité de l'humeur (au sens médical du terme) ou du moral (sens commun). Les patients alternent entre des phases de tristesse intense et pathologique (Dépression) et des phases d'euphorie également pathologique (Manie).

En plein état maniaque, les patients souffrant de cette affection se sentent tout puissant et capables de tout entreprendre. Ils pensent à deux cents à l'heure (tachypsychie), parlent sans interruption (logorrhée) et peuvent parfois se prendre pour le messie ou même Dieu. C'est un peu l'orientation diagnostic que j'avais prise la première fois que j'ai vu Dieu en consultation. J'ai pourtant dû rapidement revenir sur cela puisque Dieu ne se prend pas pour Dieu, il est Dieu.

Alors Dieu m'en raconte des bonnes quand il vient consulter. Il semble aimer se confier et me parler, ce qui me surprend un peu venant d'un être dit tout puissant au savoir absolu.

Tout d'abord, il y a un truc qu'il adore par dessus tout c'est qu'on le vénère, qu'on lui construise des monuments et des lieux de culte. Il "kiffe" (il lui arrive d'être vulgaire) les offrandes et surtout qu'on dépense beaucoup d'argent pour lui plutôt que pour aider des humains. Ca le rassure beaucoup parce qu'il n'a pas très confiance en lui. Certains pensent qu'il se complait dans une attitude narcissique (les anglo-saxons appellent aussi cela "God Complex" et là, on a tout de suite le sentiment de tourner en rond au niveau diagnostic). En fait, il est simplement comme ça et il n'y peut rien.

Il y a cette autre chose qu'il aime bien, c'est lire l'angoisse dans les yeux des humains. Je lui ai expliqué que c'était une attitude un peu perverse que de jouir de l'Angoisse de l'autre mais il a beaucoup de mal à l'intégrer. C'est avec une délectation non déguisée qu'il me raconte souvent à quel point il est content de se dire que tous les humains ont peur de lui et craignent ces quelques autres choses qu'il a inventées : la mort, la souffrance, la douleur, le deuil et les guerres. Ca le fait bien rire quand il en parle. Il insiste beaucoup sur le fait que ça le rassure de savoir qu'il a tant de pouvoir et qu'il inflige beaucoup de souffrances aux autres.

Dieu m'a aussi confié qu'il s'amuse beaucoup avec les guerres. Il trouve ça "cool", comme il dit. Mais le truc qu'il trouve encore plus génial, ce sont les guerres de religion. Parce qu'il s'est dit un jour que ce serait "cool"(il aime bien cet adjectif) de créer différentes obédiences, il a participé à et influencé la création de différentes religions qui le voient un peu différemment mais prônent toujours la tolérance. Il les a, pourtant, rendues extrêmement intolérantes dans un souci de souligner leur caractère absurde. Mais apparemment personne ne l'a encore compris ça. Il m'a confié qu'il trouvait ça "dingue".

Dieu, qui n'a pas beaucoup confiance en lui, semble aussi ne pas trop aimer les femmes parce que dans beaucoup de ses religions, il aime bien les mettre à part et les rendre responsable de tous les maux de l'humanité. C'est sa manière à lui de désigner des boucs émissaires. Il faut, cependant, lui reconnaître qu'il souffre de solitude n'ayant jamais pu avoir de femme à ses côtés. Il a donc du mal à les comprendre et en a peur.

Il aime bien aussi que tout le monde dise qu'il est amour et pour autant faire que ceux qui le représentent fassent peur à ceux qui ne croient pas en lui ou ne le vénèrent pas assez. Il aime bien dire qu'il peut pardonner mais pas trop non plus parce que ce serait trop facile.

Pour ma part, j'ai beaucoup de mal à comprendre qu'il ne soit pas plus tolérant. Il est immortel, il a créé le monde et il est tout puissant. Il pourrait se contenter de se faire des cartes de visite où il écrirait tout ça. Ca pourrait le rassurer. Pourquoi a-t-il tant besoin que l'Homme s'obsède à penser à lui et à le redouter ? Y-a-t-il un principe cosmique qui fasse qu'il ait besoin de notre énergie psychique pour entretenir son pouvoir absolu ? Franchement si j'étais lui, je pense que je serais plus cool (je lui emprunte parfois son vocabulaire) mais je suis peut-être trop gentil pour comprendre.

Au final, Dieu est un patient très intéressant mais il a encore beaucoup de problèmes à régler avec lui-même et le monde. S'il y a une chose qu'il a réussie, semble-t-il, c'est de créer l'homme à son image mais je ne sais pas si c'est une bonne chose.

Enfin, je ne peux qu'espérer que les foudres du Conseil de l'Ordre ne s'abattent pas sur moi pour avoir trahi le secret médical d'un patient imaginaire et surtout que le courroux de ceux qui croient se transforme en tolérance à l'égard de mes écrits quelque peu iconoclastes.


Tuesday, June 18, 2013

Docteur Fred, c'est quoi le Temps ?


Une nouvelle fois, je me permets de me mêler de ce qui ne me regarde pas en écrivant quelques lignes sur un sujet dont je ne suis pas spécialiste : le Temps.

Alors, c'est quoi le Temps (avec une majuscule parce que j'aime bien les majuscules) ?

Le Temps c'est cette sorte de ruban auquel on est attaché devant et derrière nous et qui se déroule toujours vers l'avant. C'est aussi symboliquement une des rares lois qu'on ne peut transgresser parce que le Temps s'écoule inexorablement vers l'avant et personne ne peut rien y changer.

Le Temps c'est ce qui rend notre vie précieuse et fragile à la fois. C'est cette illusion que nous nous donnons de toujours en avoir jusqu'au moment où l'on réalise que l'on en a plus. Le Temps c'est paradoxalement ce qui nous fait ne pas nous en donner suffisamment.

Le Temps, c'est croiser un jour une petite vieille dans la rue s'appuyant sur une canne et ne jamais soupçonner que dans sa jeunesse elle ait pu être la plus belle des femmes et qu'elle ait passé des nuits blanches à danser, s'amuser et être convoitée par tous les hommes.

Le Temps c'est se dire qu'on ne prend jamais suffisamment conscience de son impact et qu'on ne vit pas sa vie aussi intensément qu'on le devrait.

Le Temps c'est le fantasme d'imaginer ce que l'on ferait si l'on pouvait le remonter et revivre sa vie en sachant ce que l'on sait... C'est un doux rêve auquel j'aime parfois à m'abandonner. Quels chemins différents aurais-je pris ? Ou plutôt quels choix différents auraient eu un impact me faisant prendre une autre voie ? Quel examen aurais-je réussi sans avoir besoin de réviser ? Quel proche aurais-je sauvé le sachant potentiellement atteint d'une maladie grave ? Quelle parole aurais-je évité de prononcer ? Quelle complicité aurais-je partagé avec des proches avec lesquels je n'ai justement pas eu assez de temps ? Serais-je allé rencontrer ma femme plus tôt dans nos vies ne pouvant attendre que le destin nous réunisse ?

Le Temps, nous en sommes tous les esclaves et nous portons tous à nos poignets ce bracelet de prisonnier qui nous le rappelle. Qu'il soit en or, en platine ou en diamants ne nous affranchit pas plus de son joug.

Le Temps c'est vivre chaque seconde comme une éternité quand on attend l'être aimé et vivre chaque heure comme un dixième de seconde lorsqu'il nous a rejoints. Le Temps c'est n'en avoir pas assez lorsqu'on est pressé et beaucoup trop lorsque l'ennui ou la souffrance nous frappe.

Le Temps c'est se promener dans un cimetière et imaginer les vies de ceux qui y reposent. Se dire qu'un jour ils se sont, eux aussi, promené dans un cimetière en se prêtant au même exercice.

Le Temps c'est se confronter à l'infini mais aussi au commencement. Le Temps c'est se dire que notre intelligence n'est pas suffisante pour l'appréhender.

Le Temps c'est se dire vivement dans un mois et parfois, le moment venu, réaliser qu'on donnerait tout pour revenir en arrière.

Le Temps c'est regarder les secondes s'écouler et se dire qu'elles nous rapprochent de la fin. Mais c'est aussi ce qui rend nos existences exaltantes parce que, justement, on ne peut pas revenir en arrière et on ne connaît pas le futur. Alors au final le Temps c'est faire des choix, apprendre de ses erreurs et ses regrets et toujours garder le cap vers l'avant en se disant que l'Aventure (avec une majuscule parce que j'aime bien les majuscules) continue. Et quand le temps des regrets sera là, ce sont tous les beaux moments qu'il faudra chérir et faire planer en filigrane sur nos pensées conscientes pour se dire qu'on a tout de même passé du bon Temps...