Je suis un psychiatre français exerçant en ville depuis environ 10 ans. Je ne suis pas psychanalyste mais je n'en pense pas de mal pour autant. On me disait quand j'étais interne que j'étais trop gentil... J'ai eu beau essayer d'être méchant, je n'y suis pas arrivé... A défaut, il peut m'arriver d'avoir de l'humour. Ce blog reflète mes opinions personnelles et ma pratique.
Tuesday, June 25, 2013
La Dualité Monde / Coeurpuscule
Nous arrivons au monde en nous déchirant d'un lien nous unissant à notre mère et c'est dans ce même monde que nous sommes appelés à créer de nouveaux liens tout en essayant de nous constituer en tant qu'individu unique et isolé, sorte de coeurpuscule si vous me permettez ce néologisme.
Ainsi, nous sommes constamment soumis à une double contrainte qui, d'une part, voudrait que nous nous "attachions" aux semblables qui nous entourent et que d'autre part, nous préservions notre enveloppe psychique en l'isolant et la rendant indépendante pour ne pas souffrir de nos relations aux autres. C'est autour de notre "coeur", notre centre de gravité individuel que s'articule notre individu et ce qui fonde, de manière singulière notre personnalité.
Nos relations aux autres nous inscrivent dans l'histoire humaine et nous démarquent de l'animal mais elles mettent également en péril notre coeurpuscule qui est en constante re-formation à la faveur des nouveaux liens que nous créons.
Alors qui sommes-nous dans ces néo-sociétés dites individualistes dans lesquelles nous sommes amenés à évoluer ?
La faillite de la famille et sa fonction de réassurance et d'étayage conduit certains à tisser des liens plus fragiles et à les multiplier pour ne pas risquer de se retrouver sans lien. Ce serait pour ceux-là ce lien "mirage" qui soutiendrait leur coeurpuscule et previendrait leur effondrement psychique. On reconnaît là la problématique du "borderline" qui, quelque part, cherche sans cesse une prothèse apte à colmater les défaillances de son coeurpuscule pour ne pas être soumis aux angoisses les plus archaïques.
Notre société qui a désacralisé les religions et la famille n'est-elle pas devenue une société "borderlinisante" (pardonnez-moi ce nouveau néologisme) où les coeurpuscules sont de plus en plus fragiles et vacillants ? Ne peut-on pas là y comprendre la raison pour laquelle les gens "vont voir quelqu'un" plutôt que de trouver des réponses en famille ou en confession ? C'est peut-être plus là la raison qui explique le rôle grandissant du psy dans la cohésion de notre société plutôt que de penser simplement que le psy a remplacé le curé par voie de simplicité ?
Au delà de cela c'est la condition humaine toute entière qui se redéfinit par l'augmentation de la fréquence des liens mais aussi de leur fragilité, sorte de métaphore relationnelle des réseaux neuronaux qui habitent nos cerveaux.
Né au sein d'une cellule familiale, le petit d'homme est amené au fil des années à s'en détacher pour, comme on aime à le dire, s"individualiser", se coeurpusculiser, dirais-je. Mais la fragilité de sa structure l'amènerait à continuellement créer de nouveaux liens pour souffrir de leurs immanquables ruptures en dépit de l'illusion que nous nous donnons de leur stabilité.
Parce que la vie c'est ça, c'est penser qu'à un temps T, quand tout va bien, que cela ne changera jamais... jusqu'au moment où le destin nous rattrape et nous refait vivre l'expérience de la douleur et du deuil en tant que perte de lien. Le cycle bonheur/malheur à l'échelle de l'histoire individuelle est au final un résumé de condition humaine où l'intensité du bonheur se confond avec la force du lien mais où la perte de ce même lien devient synonyme de malheur profond.
L'homme moderne est ce Spiderman (et vous noterez que les psychiatres peuvent utiliser des métaphores enfantines et simplistes) qui tisse du lien d'un individu à l'autre comme le héros qui se balance d'immeuble en immeuble grâce à la toile issue de ses poignets.
C'est ce jeu d'équilibriste que nous jouons sans cesse : se protéger en tant que coeurpuscule tout en créant du nécessaire lien qui lui-même ne peut que nous fragiliser. A chacun de choisir où il arrête le curseur entre ces deux extrêmes.
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