Thursday, June 13, 2013

Docteur Fred, elle est où mon âme ?


Une question qui m'a poussé à devenir psychiatre est d'essayer d'obtenir des éléments de compréhension (je dis bien des éléments parce que je n'ai jamais pensé trouver la réponse) sur le fonctionnement de notre cerveau mais aussi et surtout le lien qui peut exister entre ce dernier et notre conscience.

Dans une vision très manichéenne des sciences, je nourrissais, à l'adolescence, un intérêt pour l'astrophysique et ses modèles de compréhension de l'origine de l'univers ainsi que pour la psychanalyse et ses tentatives d'explication de notre Moi (avec un grand M parce que, vous l'aurez compris, j'aime bien les majuscules) et de notre rapport au monde. Ces deux questions très éloignées se rejoignent car elles touchent à l'aspect immatériel du monde physique.

Loin de ces questions très théoriques, le psychiatre que je suis, est confronté au quotidien à des questions très intéressantes.

De nombreux patients me demandent si la prise d'un traitement antidépresseur va modifier leur personnalité en agissant sur leur cerveau. J'ai tendance à penser que ce sont les maladies qui modifient la personnalité et pas leur traitement. En effet, un patient déprimé qui n'a plus goût à rien, s'isole, ne mange plus et n'est plus capable de travailler, subit un changement interne qui modifie sa personnalité. Quand un traitement antidépresseur (associé à une prise en charge psychothérapique bien sûr) vient lui redonner goût à la vie, il retrouve sa "personnalité".

On peut donc voir les choses de nombreuses manières. On peut se dire que les maladies influent sur la chimie du cerveau et nous modifient mais aussi que les médicaments ont des effets tout aussi importants sur nos hémisphères.

La question intéressante c'est de se demander si tout se passe dans le cerveau ou s'il n'est qu'un "organe effecteur".

Imaginons que je veuille contracter le muscle biceps brachial de mon bras droit. Si j'en donne la commande volontaire, mon bras va se fléchir. Si quelqu'un venait à me sectionner le nerf musculo-cutané qui innerve ce muscle, j'aurais beau vouloir le fléchir, ça ne fonctionnerait pas. L'information n'arriverait pas à destination.

Peut-on voir les choses de la même manière dans le cerveau ?

Quand je suis triste, est-ce parce que je n'ai plus assez de sérotonine dans les neurones de certaines parties de mon cerveau et que l'information ne circule plus ?

Ou bien : est-ce que mon ressenti des émotions n'est qu'un voile ? Une sorte de réalité physique qui peut être ou ne pas être reliée à une réalité transcendante et immatérielle ?

Peut-on imaginer que mon âme soit heureuse mais que pour que je ressente ce bonheur, il me faille suffisamment de sérotonine ?

Ce ressenti est facile à mettre en évidence au même titre que le caractère biochimique de certains états de conscience. Un sujet soumis à une angoisse massive se verra, en partie, soulagé par la consommation d'alcool ou la prise d'une benzodiazépine (ex: Valium, Temesta). En quelques dizaines de minutes, un deuil douloureux sera acceptable simplement parce que le cerveau est soumis à l'effet d'une substance exogène. Lorsque ladite substance sera éliminée de l'organisme, ce deuil sera à nouveau aussi douloureux qu'avant.

Peut-on imaginer qu'un patient atteint d'une maladie d'Alzheimer ou de séquelles d'accident vasculaire cérébral, ait conservé toute son "âme immatérielle" mais que simplement elle ne communique plus comme il le faudrait avec l'organe physique que constitue le cerveau ? Peut-on imaginer que l'âme de mon patient sache encore compter, se souvienne de tout mais qu'elle ne puisse envoyer ces informations au cerveau "effecteur" ?

Ou alors faut-il être purement mécaniciste et se dire que la conscience n'est que le produit de notre activité neuronale et que la réalité immatérielle de l'âme n'est qu'une construction animiste pseudo-religieuse ?

Est-que l'Amour est une rencontre de deux âmes ou bien une décharge de neurotransmetteurs chez deux primates évolués ?

Pour ma part, je prendrai le parti de penser qu'il y a bien quelque chose d'immatériel et que le fonctionnement du cerveau n'expliquera jamais tout.

J'aime à penser que même s'il m'arrive de prescrire des médicaments à mes patients que ce que je peux échanger avec eux en psychothérapie a un impact tout aussi important. J'aime à penser que je suis un petit ouvrier qui utilise différents outils pour aider mes patients à reconnecter leur âme à leur cerveau.

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